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8 février 2015 7 08 /02 /février /2015 16:26

Vie de Saint Sévère d'Antioche par Zacharie ,

partie IV:

St Sévère d'Antioche

Peu de temps après, il se passa encore un autre événement :

-des vagabonds, des vanupieds, des magiciens, suivis du ramas de l’univers, vinrent à Béryte. Ils promettaient de faire apparaître des trésors, et avaient composé l’inepte histoire suivante « Darius, roi des Perses, quand il était venu jadis dans ce pays et dans ces lieux, où il exista avant notre temps des villes, avait caché beaucoup d’or, et autant et autant de talents d’or, ajoutaient-ils; ils avaient appris la chose par le récit des mages et des Perses. »

Après avoir inventé cette ineptie, ils se demandaient qui ils trouveraient de nature à accueillir leur tromperie, et qui, par manque d’intelligence. Perdrait, dans l’espoir d’obtenir des biens, même ceux qu’il possédait, et serait la victime de cette bouffonnerie persane.

Mis au courant des faits et gestes de Chrysaorius, ils lui firent connaître leur fable. Celui-ci l’admit sans difficulté, et demanda comment ils s’empareraient de ces trésors. Ils lui répondirent que l’affaire exigeait le secours de la nécromancie,[32] qu’ils avaient parmi eux quelqu’un qui s’entendait à ces évocations; qu’il fallait encore un endroit caché à la foule, afin disaient-ils, qu’on ne les surprît pas dans leurs opérations

Chrysaorios, en homme dépourvu d’esprit, ajouta foi à ces paroles.[33] Avant eu pour un certain motif une conversation avec le παραμονάριος de la chapelle dite le second martyrion : il lui fit part de cette promesse de trésors.

Celui-ci, comme il était fasciné par l’or, répondit qu’il y avait beaucoup de tombeaux isolés dans le temple dont il avait, la garde, et qu’il leur serait possible d’y accomplir, au milieu de la nuit, ce qu’ils avaient en vue.

Ils se rendirent donc tous, après avoir attendu ce moment, au martyrion.

Ces vagabonds et magiciens déclarèrent alors que des objets en argent leur étaient nécessaires pour cette entreprise, aux uns, pour aller à la mer qui était proche et évoquer au moyeu de ces objets les dénions, gardiens de ces trésors ; à cet autre, pour pratiquer la nécromancie dans les tombeaux situés dans le temple. Poussé par l’espoir de l’or, le ministre indigne de ces martyrs, obéissant à Chrysaorios, les aida à commettre leur sacrilège. 

Chrysaorios pour sa part donna à certains d’entre eux des objets d’argent avec lesquels ils ne tardèrent pas à prendre la fuite, après avoir fait semblant de se tenir d’abord devant la mer, et d’évoquer, avec ces objets, les démons, gardiens de ces trésors imaginaires.

Quant au παραμονάριος, il prit parmi les vases sacrés l’encensoir d’argent, et le donna à celui qui promettait de pratiquer la nécromancie, d’évoquer de force les âmes des morts, et d’apprendre d’elles en quel lieu ces trésors étaient cachés. Mais au moment même où le magicien commençait cette évocation diabolique et qu’il portait l’encensoir, le Dieu des martyrs punit ces gens.

Il fit trembler le sol sous leurs pieds, au point qu’ils furent tous à demi morts de frayeur, s’attendant à voir le temple tout entier s’écrouler sur eux.

Oppressés par l’angoisse, ce vagabond et magicien (= le nécromancien) ainsi que Chrysaorios eurent beaucoup de peine à échapper au langer qui les menaçait. Les pauvres qui dormaient dans ce temple s’étant rendu compte de ce qu’on avait osé accomplir, poussèrent des cris et allèrent faire connaître ces faits en ville.

Un nouveau soulèvement de tout le peuple résulta de là contre les païens et les magiciens, et de nombreuses clameurs s’élevèrent contre celui qui n’était pas digne d’être appelé παραμονάριος et aussi contre Chrysaorios, au moment où l’on célébrait la commémoration et la fête du très glorieux saint Jean, Baptiste et Précurseur.

Le παραμονάριος après avoir été arrêté, puis réprimandé par l’évêque, fut envoyé dans un couvent, avec défense d’en sortir pendant un temps déterminé. Quant à Chrysaorios, il s’enfuit en ce moment de la ville, et ce fut au prix de beaucoup d’or qu’il acheta plus tard le droit d’y rentrer.

— Léontios s’était en effet décidé, après avoir pris la fuite du premier soulèvement, à recevoir le divin baptême, dans le temple du saint martyr Léontios, et c’est ainsi qu’il avait pu rentrer dans la ville.

Il était revenu en confessant qu’il était maintenant chrétien, et en suppliant tout le monde, dans le vêtement blanc des nouveaux baptisés, de lui pardonner ce qui avait eu lieu antérieurement.

Mais pour que Chrysaorios n’eût pas la présomption d’être sage et ne s’imaginât pas que grâce aux démons, à la magie et à la richesse, il avait seul triomphé dans les soulèvements qui avaient eu lieu contre lui, — les livres de magie qu’il possédait n’avaient pas brûlés, — le Dieu des martyrs qu’il avait foulés aux pieds, se vengea de lui de la façon suivante.

Quand il eut résolu de retourner dans son pays, il loua un navire sur lequel il chargea tous les livres de magie qu’il se trouvait avoir acquis, au dire des personnes bien informées au prix de beaucoup d’or. Il embarqua encore les livres de loi et la plupart des objets d’argent qu’il possédait, ainsi que ses enfants et leur mère qui était sa concubine, et ordonna de mettre à la voile au moment qu’il croyait propice avec beaucoup d’autres personnes, après avoir consulté quelque traité de magie, le mouvement des astres et ses calculs. Lui-même devait retourner dans son pays par voie de terre.[34] Le navire mit donc à la voile sur la promesse des démons et des astrologues (ἀστολόγοι) qu’il serait sauvé avec tout ce qu’il contenait.

Or, malgré la magie et les livres de magie, il fut englouti, et rien de ce que Chrysaorios avait embarqué ne fut sauvé. C’est par ce châtiment que le Dieu des martyrs punit en ce moment cet homme insensible, parce qu’il n’avait pas voulu se rendre agréable à lui par le repentir, ni tenir compte du premier châtiment, mais que, comme Pharaon, il avait persévéré dans son obstination.

*

* *

Il semblera qu’il était inutile de raconter ces histoires. Cependant, comme elles contribuent à réfuter la magie et l’erreur des païens, nous avons cru bon de les ajouter, à juste titre, à la gloire de Dieu tout-puissant et de notre Sauveur Jésus-Christ, qui surprend les sages dans leur ruse, et qui a précipité Pharaon dans la mer avec ses chars, ses cavaliers et les sages de l’Egypte. D’ailleurs ces histoires ne sont nullement étrangères à notre sujet que nous traiterons dorénavant, en évitant toute digression. Nous avons montré suffisamment que jamais le serviteur de Dieu et pontife Sévère n’a pu être surpris en train d’offrir des sacrifices païens ou de se livrer à la magie, comme le calomniateur a eu l’audace de le dire. Celui-ci, quel qu’il soit, sera puni par Dieu, dès ce monde, s’il est encore en vie, pour la calomnie qu’il a inventée de la sorte, et s’il a quitté la vie humaine, devant le tribunal que personne ne peut tromper.

Ce patriarche de Dieu était, en effet, à Alexandrie et en Phénicie, avec ceux qui, avec la seule aide de Dieu et de Notre-Seigneur Jésus-Christ, traitèrent comme ils le firent les païens, les magiciens et les dieux des païens.

Il était surtout avec eux en Phénicie, parce qu’il possédait déjà bien la philosophie pratique, par la suite de soit émulation avec Evagrios, et parce qu’il était mieux au courant de la science et de la théorie (θεωρία) des doctrines, depuis qu’il s’appliquait à la lecture des écrivains ecclésiastiques.

Lorsqu’il eut bien profité de celle-ci, il composa un panégyrique sur le divin apôtrePaul; offrit ce premier discours à Dieu et le supplia, par son intermédiaire, d’être jugé digne du baptême sauveur.

Tous ceux qui le lurent admirèrent sa science des divines Ecritures de même qu’ils admiraient son application à l’étude des lois. L’admirable Evagrios, en considérant cette science, me réprimanda vivement.

« Pourquoi, me disait-il, après avoir acquis tout ce savoir et avoir supplié Dieu au sujet du divin baptême, Sévère tarde-t-il à le recevoir réellement?

D’où savons-nous qu’il persévérera dans son intention et son désir actuels? S’il ne participe pas aux saints mystères, Dieu plus, s’il ne reçoit immédiatement le baptême sauveur, tu subiras à sa place un grand châtiment.

Car c’est toi qu’il doit cette science, celui qui tarde à montrer également dans le baptême les fruits du repentir, qui hésite à recevoir le sceau royal et à être compté au nombre des serviteurs de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Mais si tu t’intéresses à ton salut et au sien, fais en sorte qu’il reçoive immédiatement la grâce divine.

A la suite de cet entretien, j’allai trouver Sévère et je lui rapportai les paroles du pieuxEvagrios.

— Vous exigez de moi, me dit-il, que je me couvre de souillures après le baptême sauveur Car je vois souvent des jeunes gens captives par les femmes publiques et j’habite dans une ville qui est une source de plaisir. Attends que j’aie fini l’étude des lois, et je recevrai le baptême à Alexandrie, ou tu m’affirmes qu’en tout temps règne l’orthodoxie.

— Depuis quand, mon cher ami, lui dis-je, sommes-nous sûrs de la vie, ne fut-ce que pour un seul jour, ou même une heure quelle qu’elle soit ?

Et quelle excuse aurons-nous à donner au dispensateur de notre vie, au juge et à Dieu, [si], après avoir acquis une si grande [science],[35] nous ne lui avons pas obéi, quand il dit :

-« Si un homme ne naît pas de l’eau et de l’esprit, il n’entrera pas dans le royaume des cieux » et : « Celui qui connaît la volonté de son maître et qui ne l’aura pas accomplie, sera frappé de nombreux coups » et : « Si vousentendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs pour l’irriter. »

— Réponds donc de moi, dit-il, aux fonts baptismaux, et je me ferai baptiser quand vous voudrez.

Mais je refusai pour le motif suivant : Je ne communiais pas avec les évêques dePhénicie, mais avec les saints Pères d’Egypte et de Palestine, dont les chefs étaient de grands athlètes (ἀγονισταί) de la religion.

C’était Pierre, du pays des Ibériens, qui fut évêque de Maïouma[36] et qui se distingua par une philosophie remarquable, par la pratique de la vie monastique, et par l’accomplissement de miracles apostoliques.

C’étaient Jean, archimandrite [d’un couvent] d’Egypte et évêque de Sebennytos, et Théodore, évêque d’Antinoé. Ce grand vase de perfection, par l’intermédiaire duquel Dieu accomplit, comme avec les autres, beaucoup de miracles, et fit don de la vue à un aveugle.

C’était encore celui qui fut de nos jours le second prophète Ιsaϊe, lequel n’hérita pas seulement du nom du prophète, mais encore de sa grâce [prophétique], et qui brilla parmi les ascètes comme le grand Antoine. 

Je refusai donc pour ce motif la proposition de Sévère.

— Prie alors, me dit-il, l’admirable Évagrios, qui insiste tant pour que je reçoive la vie éternelle par le baptême sauveur, d’être mon père spirituel et de se porter garant de ma foi — il communie avec toutes les saintes Eglises et je me ferai baptiser, si cela vous plaît, dans le temple du très illustre martyr Léontios, qui se trouve à Tripolis.

Je promis avec plaisir de le faire. Lorsque j’eus prié l’admirable Évagrios de se charger d’être le parrain de Sévère, il me fit d’abord la même demande.[37] Il apprit alors ce qu’il fallait, et je l’amenai [à accepter] par le langage que je lui tins.

« De même, lui-dis-je, que tu m’avais d’abord imposé une charge, de même je t’en impose une autre à mon tour. J’ai amené, avec l’aide de Dieu, l’admirable Sévère à se rendre avec empressement à ton exhortation et à ne différer nullement la grâce par crainte.

Or, il convient maintenant que tu deviennes son père spirituel, si tu ne veux pas être un obstacle à son salut, et te condamner ainsi toi-même au châtiment dont tu m’avais d’ais bord menacé. »

Il nous sembla bon de faire part de cette résolution à nos autres compagnons; puis, moi,Évagrios, cet homme si vertueux, Elisée, à l’âme pure comme l’or, l’admirable Anatolios, le pieux Zénodore, ainsi que d’autres encore, nous nous rendîmes avec Sévère au temple du divin martyr Léontios, à Tripolis.

Nous le conduisîmes aussitôt auprès de Jean, ce grand philosophe de Notre-Seigneur Jésus-Christ, tant dans la pratique que dans la théorie,[38] qui depuis sa jeunesse était consacré à Dieu, et qui depuis son enfance était assidu à l’autel du saint temple en question.

Il vécut à ce point dans la crainte de Dieu qu’il éleva à côté du martyrion une demeure de la vraie philosophie, et qu’il engagea beaucoup de personnes à se débarrasser des entraves du monde pour embrasser la vie monastique, à rejeter les vaines espérances qui ne diffèrent en rien des songes, et à préférer la loi de Dieu à tout ce qu’ils possédaient.

Il versait de tels torrents de larmes à la suite de ses nombreux gémissements que ses yeux portaient la trace du flux continuel qu’ils faisaient jaillir.

Sévère fut donc d’abord catéchisé par ce Jean, qui excellait autant dans les vertus pratiques que dans les théories (θεωρίαι) spirituelles, et qui était pénétré des doctrines du mystère divin.

La lecture des homélies catéchétiques de Grégoire, frère du grand Basile et évêque de Nysse, de Cyrille de Jérusalem et du grand Jean, l’initia ensuite aux théories (θεωρίαι) divines et aux symboles du baptême.[39]

Après cela, nous nous rendîmes au temple; nous nous présentâmes au prêtre etπαραμονάριος du martyrion, nommé Léontios, et nous le priâmes de baptiser le grand Sévère.Jean, cet homme admirable par ses vertus, avait prié auparavant Sévère, prêtre de la sainte Église de Tripolis, qui était orné de toutes sortes de dons et qui occupait le premier rang dans la noblesse divine de cette ville, — lui aussi s’était approché de Dieu par de bonnes œuvres et avait préféré la grâce divine à la carrière du barreau — il l’avait prié, dis-je, lui et le clergé de l’église, de nous aider dans notre tâche et de préparer sa maison pour recevoir celui qui allait être baptisé.

Il était venu avec nous, et s’était chargé de tous les soins que réclamait cette affaire. Celui qui est aujourd’hui évêque de Dieu fut donc baptisé dans la chapelle du divin et victorieux martyr Léontios. 

L’admirable Évagrios répondit de lui aux fonts baptismaux et fut son père spirituel. Dès qu’il eut participé aux mystères divins, on put prévoir ce qu’il serait plus tard. Il s’était, en effet, approché de Dieu avec une telle foi que tous ceux qui furent présents louèrent Dieu au sujet de sa componction.

Comme il devait, après le septième jour, quitter les vêtements blancs, qui symbolisent l’affranchissement, et les mettre de côté, il fut triste quelque temps, et désirait, en quelque sorte, s’en aller alors à Dieu, avec cet ornement et ce costume tant il était pénétré de douleur, et si grandes étaient sa connaissance et son intelligence de la cérémonie divine et mystique!

Après les jours fixés et légaux, nous retournâmes à Béryte, munis de prières du divin martyr et de ces hommes admirables. A partir de ce moment, Sévère fit de tels progrès dans la vertu, à l’exemple de son père (spirituel), qu’il jeûnait, pour ainsi dire, tous les jours, ne prenait jamais de bains, et n’accomplissait pas seulement les devoirs du soir dans les Églises de Dieu, mais aussi, la plupart du temps, y passait une bonne partie (?) de la nuit.

Tout cela afin que son corps maigrît, que sa chair se consumât, et que sa vertu grandît davantage. Il cherchait ainsi un refuge en Dieu, tout en étudiant et en approfondissant sans relâche le droit pendant les jours où nous avions cours.[40] Aussi en vint-il à posséder dans les lois le savoir d’un professeur, et était-il tenu dans une pareille estime par la plupart des étudiants capables de juger sans envie le mérite.[41] D’autre part, nous consacrions avec joie, à l’étude des doctrines divines, le temps dont nous étions convenus entre nous dès le début.

Pendant que notre vie allait de ce train, Evagrios, ce grand vertueux, ne cessait d’amener beaucoup de personnes à l’amour de la philosophie divine et à la vie monastique, et ne cessait de rappeler l’ascétisme de ceux qui cultivaient la philosophie en Orient.

Or, tandis que je mettais par écrit les exploits de ces hommes inspirés de Dieu, de Pierre l’Ibérien, dis-je, et d’Isaïe, ce grand ascète d’Égypte, — car ces deux hommes,pendant leur séjour en Palestine,s’étaient acquis une grande réputation auprès de tous les chrétiens, Anastase d’Edesse, dont j’ai parlé plus haut, eut le premier une aventure dans le genre de ces histoires, aventure qui vaut la peine d’être admirée et racontée.

Il vit, en effet, en songe Pierre, ce grand évêque de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel fut aussi donné le nom du prince des apôtres, qui lui ordonnait de venir immédiatement, en montant ce qu’on appelle un βέρηδος (cheval de poste). A son lever, Anastase me fit part de sa vision et de l’ordre qu’il avait reçu, et me décrivit aussi la personne (πρόσωπον) sacrée de Pierre.

Je conclus du récit qu’il me fit que ce n’était pas un songe qu’il avait eu, mais une apparition divine, qui appelait, par l’entremise de ce saint homme, l’admirable Anastase à la vie monastique. Aussi je lui dis : « C’est bien le grand homme que tu as vu, et tu dois obéir promptement.

C’est là, en effet, la signification que cette apparition a pour toi. » Comme il avait un oncle qui était alors gouverneur de la province (ὑπαρχία), il me répondit qu’il avait peur de se mettre en route par voie de terre, et qu’il préférait attendre que le vent du nord lui permît de se rendre par mer en Palestine. 

Ilattendit donc un certain nombre de jours pour ce motif. Comme ce qu’il désirait ne se produisait pas, et qu’il était en proie au découragement, je lui rappelai la vision qu’il avait eue et qui voulait plutôt (μᾶλλον) qu’il se rendît promptement par terre auprès de cet illustre évêque et serviteur du Dieu tout-puissant et de notre Sauveur Jésus-Christ. 

Puis je lui conseillai, à lui qui avait peur à cause de son oncle de passer [par Tyr] en quittant Béryte, de ne pas traverser Tyr, où son oncle habitait alors, pendant le jour, mais au milieu de la nuit, après avoir fait halte pendant le jour en dehors des murs.

Ce conseil lui plut, et il le mit à exécution.

Parvenu à Césarée de Palestine, Dieu, qui l’avait appelé à lui au moyen du grandPierre, fit en sorte qu’il rencontrât des disciples de ce saint homme, et qu’il apprit d’eux où séjournait celui auprès duquel il se rendait. Au cours de son entretien avec eux, il s’entendit dire : « Pourquoi, invité à venir promptement, as-tu tardé jusque maintenant? »

Arrivé ensuite auprès de Pierre, il apprit à connaître par expérience les vertus de cet homme divin et les récits qu’on racontait à son sujet, et, aussitôt qu’il eut promis à Dieu d’embrasser la vie monastique et de vivre sous son obédience de Pierre, il fut délivré de la lèpre dont son corps était atteint; car cette maladie, appelée maladie sacrée, avait déjà commencé à s’emparer de lui.

Lorsque ces faits furent connus, à Béryte, de l’admirable ils suscitèrent chez lui le désir de partir aussi.

Le pieux Évagrios nous avait, en effet, souvent parlé de la vie monastique, et il espérait, étant un homme de mœurs simples, nous entraîner tous, ou du moins un grand nombre de nous.

Le grand Élisée n’attendit pas aussi longtemps. Il avait également eu, longtemps auparavant, une apparition du saint homme, qui lui ordonnait, pendant la nuit, de se lever et de chanter à Dieu le psaume cinquante. À la fin, à la suite de son grand amour [de Dieu], le feu de la philosophie divine s’était allumé en lui, comme il me l’avait appris, car j’habitais à cette époque avec lui. N’ayant pas su résister à la flamme de la vocation divine, il se rendit en hâte en Palestine auprès du saint homme, et se plaça sous son obédience, après avoir pris le joug de la philosophie.

Peu de temps après, nous apprîmes la mort de l’illustre Pierre. A cette nouvelle, l’admirable Évagrios gémit et se lamenta de ce qu’il n’avait pas obtenu comme d’autres, la faveur de voir ce grand homme et de connaître par expérience la grâce divine dont il était doué. Il me reprochait d’avoir différé mon départ, et blâmait aussi l’hésitation des autres.

Nous apprîmes également que le grand Pierre avait laissé des héritiers après lui. L’un d’eux était Jean, surnommé le Canopite, un philosophe qui était vierge d’âme et de corps, et même des sens du corps, et dont l’esprit était tourné vers Dieu.

Les autres étaient Zacharie,André et Théodore. Celui-ci était mentionné en quatrième lieu, mais sur la proposition des deux qui étaient avant, lui, il parut juste de lui confier la direction du couvent avec le grandJean, ainsi que de réserver l’autel à Jean, surnommé Rufus. 

Celui-ci avait étudié précédemment les lois à Béryte avec Théodore dont je viens de parler; et ils avaient laissé tous deux dans cette ville une grande réputation de chasteté et de piété auprès de tout le monde.

A cause de la gravité de son visage et l’ascétisme de son corps, Jean était surnomméLazare, et Théodore était appelé le Juste, à cause des vertus qu’il possédait. J

ean avait été incorporé au clergé d’Antioche la grande par Pierre, alors évêque de cette ville, qui l’avait arraché aux écoles. Il avait reçu [de lui] l’ordination (χειροτονία) de la prêtrise, et avait habité avec celui qui l’avait ordonné à cause du beau témoignage que tout le monde lui rendait.

Dans la suite, il s’était rendu en Palestine et avait embrassé la vie monastique auprès du grand Pierre. 

Quant à Théodore, il avait, avant Jean, aimé la même vie. Il avait vendu tous les biens qu’il possédait à Ascalon, d’où il était; en avait donné le prix (τιμή) aux pauvres, comme l’ordonne la loi de Dieu s’était chargé de la croix du Christ et l’avait suivi, conformément à ce que dit l’Écriture.

Après que nous eûmes appris[42] que le grand Pierre avait laissé ces héritiers, Évagrios,le père spirituel du grand Sévère, nous déclarait à tous avec instances, lorsque leur renommée fut parvenue jusqu’à nous, que c’était perdre son âme que de tarder encore à habiter avec eux. 

Anatolios abandonna alors la femme et les enfants qu’il avait à Alexandrie, et promit à Évagrios de quitter le monde. 

Philippe de Patara, l’imita également, ainsi mon compatrioteLucius, qui avait reçu peu de temps auparavant une lettre du grand Pierre, — qui jouissait encore à cette époque de la vie corporelle, — dans laquelle il nous exhortait à l’observance des lois divines.

J’aurais voulu dès lors imiter le zèle d’Anastase et d’Elisée, et promettre à ceux-là de devenir leur compagnon. Comme j’avais peur de la vie monastique, ils insistaient tous trois auprès de moi, en faisant valoir à mes yeux l’élévation de la philosophie divine, et en me priant de ne pas me séparer d’eux.

Objectant la crainte de mon père, dont la maison n’était pas éloignée du couvent du grand Pierre, je disais que je serais certainement empêché par mes parents d’embrasser ce genre de vie, et je les priais de me pardonner[43] si pareille chose arrivait.

« [Suis-nous toujours], me dirent-ils. Ou bien tu seras des nôtres, et tu cultiveras la philosophie avec nous, ou bien tu te borneras à nous accompagner jusqu’au couvent. » Je les suivis donc.

Le grand Sévère n’approuvait pas mon départ. D’abord il prévoyait ce qui allait arriver, ensuite il était affligé de ce que tout le monde le quittait; il savait en outre que j’étais trop faible pour cet acte.

Mais je ne m’étendrai pas sur ce sujet, car je ne veux pas raconter mes affaires, quoique je m’accuse moi-même dans ce que je dis.

Ceux-là purent certes atteindre les hauteurs de la philosophie; quant à moi, les ailes me tombèrent,[44] comme on dit, — tant à cause de ma faiblesse que pour les raisons que j’ai données, — et je revins de nouveau à Béryte. 

La prophétie que l’illustre Pierre avait faite à mon sujet s’était accomplie : Lorsque je le revis, à l’époque où j’étais nouvellement revenu dans mon pays d’Alexandrie,— j’étais accompagné de Plousianos (Πλοθσιανός) d’Alexandrie, qui est aujourd’hui un pieux moine; il faisait alors partie de la cohorte (τάξις) du préfet d’Égypte et était venu auprès de Pierre pour [recevoir] sa prière et [sa bénédiction?] — lorsque, dis-je, je le vis alors, il dit à mon compagnon, après l’avoir regardé et après avoir deviné son nom : « Va et tonds ta chevelure »; mais à moi il me dit, pendant que je mangeais avec ses disciples à l’heure du repas : « Mange, jeune homme. » Il s’ensuivit que, peu de temps après, mon compagnon choisit la vie monastique, dans laquelle il s’est distingué jusqu’à ce jour, au couvent dit Ὀκτωκαιδέκατον; et que, quant à moi, j’embrassai la profession d’avocat (δικανική), m’étant réellement montré « jeune homme » et plongé dans de nombreux péchés.

Je revins donc à Béryte. Je rapportais avec moi une lettre du fervent Εvagrios à son filleul, et une lettre d’Énée (Ἀινείας), le grand et savant sophiste chrétien de la ville de Gaza,à Zénodore mon compatriote. Ces lettres excusaient et me pardonnaient mon retour, c’est-à-dire mon refus [d’embrasser la vie monastique]. Dès lors moi et ceux-ci nous reprîmes nos études habituelles avec nos autres compagnons.

Nous étudiions ensemble les lois, et nous fréquentions en commun avec d’autres, les saintes Églises à l’heure des offices du soir et des assemblées. D’autre part, le grand Sévère et moi, nous faisions pour notre compte, à la maison, aux moments habituels, la lecture des écrits chrétiens, selon ce qui avait été convenu entre nous dès le commencement.

Si grands furent ses progrès dans la vertu que, même avant d’avoir revêtu l’habit monastique, il se montrait un philosophe chrétien par les actes et par la science. Dans la pratique, il était semblable à son père [spirituel], et il n’avait plus, pour ainsi dire, que l’ombre de son corps, à la suite de son ascétisme exalté; dans les théories de la science de la nature et de la théologie (θεολογία), il le surpassait.

Je passe sous silence les luttes qui, dans l’intervalle, eurent lieu de nouveau contre les païens et les magiciens, et tout ce que j’aurais eu à souffrir de leur part, si je n’avais pas été sauvé à différentes reprises de leurs mains meurtrières par l’agonothète, notre Seigneur et notre Dieu, Jésus-Christ, grâce aux prières que lui avaient adressées pour nous le grand Evagrios et l’admirable Sévère. 

Celui-ci nous aidait en cachette de ses conseils. Comment donc une personne pourvue d’intelligence pouvait-elle écrire contre lui ce que tu m’as dit que ce menteur a écrit? Ou bien, celui qui est chrétien, n’adhère pas à des calomnies de ce genre; ou bien, s’il consent à les accueillir, il ne craint pas le jugement de Dieu, qui dit : « Tu ne recevras pas un vain bruit.[45] »

A cause de ce diffamateur, il fallait qu’il fût montré que Sévère ne le céda pas même en une petite mesure en vertu à son père.

Sévère étudia les lois autant qu’on peut le faire, examina et approfondit tous les édits impériaux y compris ceux de son temps, compara ensemble les commentaires contenus dans les précis des lois,[46] nota dans des cahiers des racines auxiliaires de l’oubli et du souvenir(?), et laissa, comme des à ceux qui viendraient après lui, ses livres et ses notes.[47]

Lorsqu’il eut décidé dans la suite de rentrer dans son pays, afin de s’y établir comme rhéteur (ῥήτωρ) et d’y exercer la profession d’avocat (σχολαστική), il me dit d’aller prier avec lui au temple du très illustre martyr Léontios, où il avait reçu le baptême sauveur.

De là, il me fit encore aller avec lui à Émèse, pour prier devant le chef divin et sacré de saint Jean, Baptiste et Précurseur qui avait été découvert en cette ville. Après y avoir trouvé ce que nous cherchions, et fréquenté beaucoup de personnes qui étaient fortement adonnées là, à cette époque, à la philosophie divine, nous revînmes à Béryte.

Après avoir acheté des toges (χλανίδια) pour sa profession d’avocat (δικανική), Sévère résolut d’aller d’abord à Jérusalem et d’y adorer la croix, le tombeau et la résurrection de notre grand Dieu et de notre Sauveur Jésus-Christ puis de se rendre auprès d’Évagrios,[48] de lui dire bonjour; ensuite de rentrer dans son pays.

Il ne s’était point aperçu que la grâce de Dieu le conduisait à la philosophie elle-même! En quittant Béryte avec l’intention d’y revenir encore, il me confia ses bagages et ses serviteurs (esclaves), s’étant contenté de prendre un seul de ceux-ci avec lui, un des anciens.

Il adora certes les signes sauveurs des souffrances divines, une fois arrivé dans la ville sainte; mais lorsqu’il eut rencontré dans la suite l’admirable Evagrios, qu’il eut fréquenté les héritiers du grand Pierre, et qu’il eut vu toute la disposition de leur vie, il fut saisi par l’amour de la philosophie divine, et fit voir un changement digne d’admiration : au lieu de la toge, il revêtit l’habit monastique; au lieu de se servir des livres des lois, il se servit des livres divins; au lieu des travaux du barreau, il choisit les labeurs[49] de la vie monastique et de la philosophie.

Peu à peu la grâce divine l’avait proclamé rhéteur de la religion, et oint pour le patriarcat d’Antioche, la grande ville !

(....A suivre...)

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