TU ES NE POUR LE BONHEUR (6/16)
DÉRÈGLEMENTS CATASTROPHIQUES DE LA NATURE HUMAINE
CHAPITRE I RÈGNE DE LA CHAIR (Deuxième Partie)
L'homme qui se recueille paraîtra bientôt si fabuleux qu'on doutera qu'il ait jamais existé !...
Le but secret de notre civilisation luciférienne est de détruire les âmes en les lançant et en les éparpillant sur leur périphérie. Et pourquoi donc ? Parce que le Christ vit en chacune, au centre de l'âme de chacun ! Il faut à tout prix les empêcher de l'atteindre et de connaître la sérénité et le bonheur.
Nous avons affaire avec un monde angoissé d'avoir bu le philtre de la Bête.
Il paraît que « le mal dont nous souffrons consiste dans les difficultés d'un monde matériellement injuste ». Pour le rendre juste et faire disparaître le mal dont nous souffrons, on peut faire confiance à nos « guides rayonnants », aux Malraux et aux Sartre, et, bien sûr, pour rien au monde, à l'école où l'on parle de Dieu...
Qui nous débarrassera des dangereuses niaiseries des athées, de leurs préjugés puérils, de leur orgueilleuse ignorance ? Quand comprendront-ils que l'esprit qu'ils nient est, non seulement une réalité, mais la réalité par excellence dont dépendent l'équilibre et le bonheur des humains !
Un monde qui rejette Dieu se condamne au malheur. Il ne peut résister à Dieu et avoir la paix de l'âme. Il peut s'étourdir, mais pas longtemps ; la « belle époque » ne s'est-elle pas noyée dans des flots de sang ? Et depuis, cela continue.
Il est plus que temps d'affirmer l'erreur de notre civilisation : séparer l'éternel et le temporel, le moi et l'âme, la plus perfide des entreprises à laquelle les chrétiens se soient prêtés depuis l'Incarnation qui, précisément, unit l'éternel au temporel, le moi à l'âme. (Elle s'est exprimée par la séparation de l'Église et de l'État.)
Cette séparation, qui est à peu près universelle, fut provoquée, et l'est encore, par l'ignorance de la nature humaine et de son origine surnaturelle ; elle devait faire naître un monde très dur, très âpre et très amer.
***
Concevoir aujourd'hui une action désintéressée pour une cause qui dépasse la vie humaine... quel scandale ! Des hommes qui ne se pourvoiraient pas d'un « job » dans le but unique de gagner de l'argent... inouï ! Écrire un livre qui prône la joie que donnent l'abnégation et le service... mais vous mènerez votre éditeur à la faillite ! Exalter encore la mission du soldat et du prêtre, leur rôle civilisateur, les affinités de dévouement et de sacrifice de ces deux épouvantails : « le sabre et le goupillon », convenir qu'ils sont les derniers survivants d'une époque où des hommes vivaient dans la joie en contact avec ce qui les dépasse, la patrie et la foi... mais vous serez considéré comme un « pauvre arriéré », un « intégriste », un « ultra » !
Nous sommes dans une époque de régression et de sauvagerie singulières, où la force et la ruse cruelle s'émancipent de plus en plus des mœurs adoucies par le christianisme. La violence joue à plein, joue à cru, sur l'homme « libéré des vieilles entraves »... Pauvre homme qui se croit libre et qui est enchaîné par les fers des pires instincts viscéraux... Fatum inexorable qui fait de l'homme un jouet !... Voilà une belle émancipation de l'esprit humain !... Et les milieux « catholiques » démangés par un snobisme effervescent d'« être dans le mouvement » tombent dans tous ces panneaux !
L'amour de Dieu et l'amour de la chair sont comme deux poids dans les plateaux d'une balance : l'un ne peut monter sans que l'autre descende.
Et où mène-t-il l'amour de la chair ? Regardez l'homme contemporain : écrasé par l'idole qu'il adore, il est devenu serf en Orient, il s'est enlisé dans le « standard » et a perdu toute joie de vivre en Occident.
Faut-il s'étonner que dans une telle vie sans horizon, l'alcool, les drogues et toutes les fausses évasions attirent les foules ?
Il est aisé de comprendre que l'Anxiété court les rues, car l'homme, aussi avili qu'il soit, sent que sa destinée n'est pas toute entière de produire, de consommer et de s'étourdir.
***
La tâche d'un véritable médecin des âmes est de ramener le centre de gravité vers l'intérieur,de montrer aux anxieux ce qu'il y a de vain et d'infantile dans l'agitation et cet espoir de trouver un appui dans le monde de la périphérie, et de les guérir de la tarentule de la Chair.
Hélas, nous en sommes loin ! Abêtis par le matérialisme de la Faculté, nos psychiatres ignorent Psyché ! Ils sourient même au seul mot « âme ». Ils pensent qu'elle n'existe pas ou, si elle existe, elle n'est qu'un « épiphénomène »... Le corps : seule réalité qui existe...
Cette fidélité aux préjugés puérils du XIXe siècle est curieuse et ne peut s'expliquer que par un tenace délire collectif, organisé et systématisé de main de maître...
La psychologie actuelle nous déçoit rarement sous le rapport de sa parfaite ignorance de l'âme humaine ; et nos contemporains, marchant plus que jamais sur la tête, avalent sans broncher ses renversantes contre vérités.
M. le médecin-chef du Centre psychiatrique de Sainte-Anne (Pauvre sainte ! Que cherche-t-elle dans cette galère ?), n'écrivait-il pas récemment : « La psychologie, simple portion de la biologie» (Dr Paul Guiraud : «Psychiatrie générale». Ed. Le François, p. 305. Remarquez que ce livre fut écrit en 1950 ; donc, après les livres de Bergson et les admirables- travaux d'Alexis Carrel !). Ne s'élève-t-il pas avec vigueur contre M. Baruk qui prétend que « la conscience morale est l'élément le plus profond de la nature humaine ». « Cette attitude, écrivait-il aussi, a la page 539, est anthropologique et moraliste, mais non biologique ».
Point de morale pour soigner le moral ! Du biologique ! Du Charnel ! Tout nu ! Tout pur ! Sans mélange ! Montrer et démontrer son importance capitale ! Et, grands dieux, pas de théologiens ni de moralistes en psychiatrie ! « Il s'agit là d'un mode de pensée assez archaïque mais solidement inscrit dans le système nerveux et qui peut ressurgir dans certaines circonstances pathologiques » (Op. cit. p. 540.).
Voilà nos guides ! Monumental ! Le sens moral n'apparaît plus que « dans certaines circonstances pathologiques » ! Voulez-vous qu'il n'y ait plus d'anxieux ? Détruisons le sens moral ! Retournons à l'état animal.
Ce sens pénible, qui trouble tant les humains, apparaît encore Intolérable ! Certaines âmes peuvent encore découvrir la cause de leur anxiété : le sens moral insatisfait, — et tout compromettre ! Pensez un peu : si l'anxieux aboutissait au repentir ? S'il guérissait ? Voilà le danger à éviter ! Si les âmes éprouvaient la nécessité de la confession et — chose affreuse ! — de la communion ! Redoutable décision ! Il faut en prendre des précautions...
C'est Freud, en premier, qui a tiré le signal d'alarme : remplaçons la confession !
Toute la tambouille de la mystique du Charnel vient à la rescousse pour défendre les anxieux contre ceux qui peuvent les guérir...
Il faut, avant tout, engourdir les âmes et veiller à ne pas réveiller le sens moral, ce rayon divin qui est en nous et qui remue au plus intime de l'âme pour la rappeler à l'ordre ; qui surgit et murmure sa désapprobation : reproche vivant qui s'adresse à l'existence aberrante, à l'âme qui a rompu avec son moi profond et qui, sans racines, est à la merci de toutes les tempêtes, de tous les déchirements ; une âme malheureuse...
Et c'est, sans doute, pourquoi les médecins modernes de l'âme nous conseillent de ne jamais parler de Dieu ou de religion... Car si ces âmes guérissaient, à quoi s'emploieraient nos psychanalystes ? Si les milliers de maisons de santé se vidaient ! Diantre ! Rien qu'à l'idée on est pétrifié !
Il vaut mieux en rire que d'en pleurer, les larmes n'arrangent pas grande chose. Mais comment ose-t-on parler, en ce monde, de bonheur ?
Faisons-le quand même :
Le sens moral se signale par le sentiment pénible de sa violation et par le sentiment de paix radieuse de son affirmation.
Le sens moral peut, certes, disparaître de la pensée consciente, mais sa permanence est cause des anxiétés. D'ailleurs, le nombre croissant d'anxieux prouve qu'il est toujours là, dans les profondeurs de l'âme. Il prouve que le moi humain, Dieu en nous, bien que refoulé, continue à nous envoyer des signaux.
Avant de finir ce chapitre où il s'agit du règne de la chair, c'est-à-dire, d'un renversement et de la violation de la nature humaine (il y en a d'autres) je donnerai, en première ébauche, une définition du bonheur.
Le bonheur consiste à conformer son existence à l'essence. L’essence est au sommet de l'âme de chacun et ne l'abandonne jamais : si on ne abandonnais pas, elle ne laisserais jamais l'âme en paix.
Le bonheur ne consiste pas à jouir à tout prix, mais à s'élever jusqu'à la pointe de son âme, là où l'on connaît la joie qui ne dépend plus du monde mais de soi.
Quand il y a accord entre ce que l'homme est et ce qu'il doit être pour l'éternité, il y a bonheur.Et il y a malheur quand les deux réalités ne s'accordent pas.
Il ne s'agit nullement, comme le pensait Freud, de se mettre en accord avec la bête qui est en nous et non plus avec l'ange, comme le pensait Bouddha, et repousser le monde comme une pure illusion ; il s'agit de les hiérarchiser et d'en faire un tout harmonieux.
L'Europe, jusqu'à la Révolution, a tendu à réaliser le canon humain : aimer connaître sentir. A partir de la Révolution, la ruine du canon humain, son inversion radicale (sentir connaître aimer !) se poursuivit dans tous les domaines.
Cela a donné la primauté de l'économique, puis la recherche scientifique appliquée à la vie pratique et, au plus bas, les questions religieuses et morales.
Il y a deux sortes de révoltes : une mauvaise, celle du libertaire, négateur de l'ordre de l'univers ; en fait, une révolte de l'homme contre lui-même, contre l'ordre immanent de sa propre nature ; elle a conduit au déséquilibre contemporain. Il y a aussi une bonne révolte, celle de l'homme qui se voit contraint d'affronter un milieu qui renverse l'ordre humain : il doit tout faire pour restaurer la hiérarchie naturelle — esprit, âme, corps — et qui doit correspondre à la hiérarchie des institutions : la vie religieuse en premier lieu, la vie morale et intellectuelle en second, et enfin, la vie économique : seul et unique moyen pour rendre possible le bonheur des humains.
Ce qui marque notre époque, ce n'est pas tant le dérèglement des mœurs que le désordre provoqué par les institutions et les lois de la cité.
La bonne révolte : désobéir aux hommes en obéissant à Dieu ! ! !
Qui veut la fin veut les moyens : qui connaît la fin surnaturelle de l'homme ne peut accepter une société qui s'y oppose.
(Note) « L'Antéchrist, pour nous, c'est tons ceux — quels qu'ils soient — qui en tiennent pour une société contre Dieu ou même simplement sans Dieu. Et celui qui s'allie à eux ou leur tend la main, obéit à l'Antéchrist et sans le savoir lui prépare la voie » (Card. Ottaviani, Fête de 1« conversion de saint Paul, 1959. — Cf. Pensée Catholique, n? 59, p. 23-p. 26).
Homme : avoir la tête au ciel et les pieds sur terre : si l'un des appuis manque, il bascule. Mais la fuite par en haut est plus grave que la chute. C'est pourquoi on peut plus facilement sauver une brute qu'un ratiocineur. Les peaux épaisses sont moins dangereuses que les cervelles enfumées. Nous verrons ça dans le prochain chapitre.
A SUIVRE
[Extrait de : TU ES NÉ POUR LE BONHEUR Œuvre de Paul Scortesco (1960)]