Première lettre de saint Jean 5,4-10.
Mes bien-aimés, quiconque est né de Dieu, vainc le monde ; et la victoire qui a vaincu le monde, c'est notre foi.
Qui est celui qui est vainqueur du monde, sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ?
C'est ce même Jésus-Christ qui est venu par l'eau et par le sang, non avec l'eau seulement, mais avec l'eau et avec le sang. Et c'est l'Esprit qui rend témoignage, parce que l'Esprit est la vérité.
Car il y en a trois qui rendent témoignage dans le ciel : le Père, le Verbe et l'Esprit ; et ces trois sont un.
Et il y en a trois qui rendent témoignage sur la terre : l'Esprit, l'eau et le sang ; et ces trois sont d'accord.
Si nous recevons le témoignage des hommes, le témoignage de Dieu est plus grand ; et c'est bien là le témoignage de Dieu, qui a rendu témoignage à son Fils.
Celui qui croit au Fils de Dieu a ce témoignage de Dieu en lui-même ; celui qui ne croit pas Dieu, le fait menteur, puisqu'il n'a pas cru au témoignage que Dieu a rendu à son Fils.
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 20,19-31.
En ce temps-là, le soir de ce même jour, le premier de la semaine, les portes de la maison, où se trouvaient les disciples, étant fermées par crainte des Juifs, Jésus vint et se tint au milieu d'eux disant : "La Paix soit avec vous !"
Ayant ainsi parlé, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur.
Il leur dit une seconde fois : "Paix avec vous !" Comme mon Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie."
Après ces paroles, il souffla sur eux et leur dit : "Recevez l'Esprit-Saint."
"Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus."
Mais Thomas, l'un des douze, celui qu'on appelle Didyme, n'était pas avec eux lorsque Jésus vint.
Les autres disciples lui dirent donc : "Nous avons vu le Seigneur." Mais il leur dit : "Si je ne vois dans ses mains la marque des clous, et si je ne mets mon doigt à la place des clous et ma main dans son côté, je ne croirai point."
Huit jours après, les disciples étant encore dans le même lieu, et Thomas avec eux, Jésus vint, les portes étant fermées, et se tenant au milieu d'eux, il leur dit : "Paix avec vous !"
Puis il dit à Thomas : "Mets ici ton doigt, et regarde mes mains ; approche aussi ta main, et mets-la dans mon côté ; et ne sois plus incrédule, mais croyant."
Thomas lui répondit : "Mon Seigneur, et mon Dieu !"
Jésus lui dit : "Parce que tu m'as vu, Thomas, tu as cru. Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru."
Jésus a fait encore en présence de ses disciples beaucoup d'autres miracles qui ne sont pas écrits dans ce livre.
Mais ceux-ci ont été écrits, afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu'en croyant vous ayez la vie en son nom.
Par Jean-Paul II (1920-1978-2005), pape de Rome, dans l’Encyclique « Dominum et vivificantem » §23 (trad. © copyright Libreria Editrice Vaticana rev.)
« Recevez l'Esprit Saint »
Les événements de Pâques — la Passion, la mort et la Résurrection du Christ — sont aussi le temps de la nouvelle venue de l'Esprit Saint comme Paraclet et Esprit de vérité (Jn 14,16-17).
C'est le temps du « nouveau commencement », du don que le Dieu un et trine fait de lui-même à l'humanité dans l'Esprit Saint par l'action du Christ Rédempteur.
Ce nouveau commencement est la rédemption du monde :
« Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique » (Jn 3,16).
Déjà, dans le don du Fils s'exprime l'essence la plus profonde de Dieu qui, comme amour, est une source inépuisable de générosité.
Dans le don fait par le Fils s'achèvent la révélation et la prodigalité de l'Amour éternel : par l'œuvre du Fils, c'est-à-dire par le mystère pascal, l'Esprit Saint, qui dans les profondeurs insondables de Dieu est une personne-don, est donné d'une manière nouvelle aux apôtres et à l'Église et, à travers eux, à l'humanité et au monde entier.
L'expression définitive de ce mystère apparaît le jour de la résurrection.
En ce jour, Jésus de Nazareth, « issu de la lignée de David selon la chair », comme l'écrit l'apôtre Paul, est « établi Fils de Dieu avec puissance selon l'Esprit de sainteté, par sa résurrection des morts » (Rm 1,3-4).
On peut donc dire que l'exaltation messianique du Christ dans l'Esprit Saint atteint son sommet dans la résurrection ; il se révèle alors comme Fils de Dieu, « rempli de puissance ».
Et cette puissance, dont les sources jaillissent dans l'insondable communion trinitaire, se manifeste avant tout dans le fait que si, d'une part, le Christ ressuscité réalise la promesse de Dieu déjà exprimée par la voix du prophète :
-« Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, mon esprit » (Ez 36,26-27), d'autre part, il accomplit sa propre promesse faite aux apôtres :
-« Si je pars, je vous l'enverrai » (Jn 16,7).
C'est lui, l'Esprit de vérité, le Paraclet envoyé par le Christ ressuscité pour nous transformer et faire de nous l'image même du ressuscité.
LA PRIERE DE JESUS, PRIERE DU CŒUR
"Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous", dit saint Paul (1 Co 3,16). Chaque homme est appelé à devenir ce temple. C’est la vocation fondamentale du chrétien. Pour devenir cette maison du Dieu Vivant, il doit toujours porter en lui le Nom de Dieu: "Je consacre cette maison que tu as bâtie, en y plaçant mon Nom à jamais; mes yeux et mon cœur y seront toujours" (1 Ro 9,3).
A travers la Bible, l’invocation du Nom de Dieu est source de salut (Jl 3,5). Dans le Nouveau Testament, les choses sont encore plus concrètes, tangibles: le Nom salvateur par excellence qui nous a été donné et révélé est celui de notre Seigneur Jésus-Christ (Ac 4,12). Au début, durant les temps apostoliques, les chrétiens étaient appelés "ceux qui invoquent le Nom de Jésus" (Ac 9,21), en tout lieu et en tout temps (1 Co 1,2). Cela, afin de cultiver leur paradis intérieur, de garder le feu reçu à la Pentecôte. Mais, comme le précise saint Paul, pour être agréable à Dieu et porter du fruit, cette invocation du Nom doit être faite d’un cœur pur (2 Tm 2,22).
L’Eglise orthodoxe est restée fidèle à cette tradition. Dans la filiation des premiers moines – les Pères du désert –, des saints ascètes et des auteurs de la Philocalie, elle invite les disciples du Christ à cette invocation continuelle du Nom de Jésus-Christ.
Cette prière peut sembler extrêmement simple. Théoriquement, elle l’est. Mais pratiquement, elle est difficile. Car nous sommes divisés intérieurement: la tête et le cœur, l’âme et le corps, la pensée et la vision ne sont pas unifiés. Nous vivons avec notre tête séparée du cœur. Notre esprit est comme une girouette agitée par le vent. Nous ne sommes jamais en paix. L’invocation du Nom est un remède contre cette division de l’être et cette agitation mentale. C’est une grande science que nous devons apprendre toute notre vie. Imprimer le Nom du Christ dans notre cœur et le faire résonner sans arrêt dans notre poitrine est à la fois une grande prouesse et un don de la grâce.
Le but de la prière est de rendre l’homme capable de vivre dans la présence du Dieu Vivant. Car cette présence est extrêmement bénéfique. Elle est thérapeutique. Elle nous purifie. Elle nous sauve. Son pouvoir consume l’esprit de méchanceté en nous. Il guérit l’intellect et le cœur de l’homme. Il unifie l’être. Dans cette unité, le désir de Dieu possède la personne dans toutes les dimensions de son être et de son existence. L’homme n’a plus qu’un seule pensée, un seul désir, une seule aspiration: vénérer Dieu en esprit et en vérité comme l’Un de la Sainte Trinité. Il poursuit, atteint cet état surtout à travers la prière de repentir, la prière dite "de Jésus" ou "prière du cœur": "Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur."
Là où est le Nom de Dieu, là est sa présence. Ce Nom, pour nous chrétiens, est inséparable de la personne de Jésus-Christ. Le secret qui rend la prière de Jésus efficace et féconde est l’attention et l’humilité. Dite ainsi, elle attire la puissance de l’Esprit saint. Dans la pratique de cette prière, deux parts doivent être unies, harmonisées. L’une de ces parts est petite, l’autre est grande. La petite part, c’est l’effort de l’homme pour rendre le cœur prêt à recevoir la grande part qui est la grâce de l’Esprit saint, grâce sans laquelle l’homme ne peut rien. Il y a là toute une synergie. Jésus-Christ justifie le Créateur par son amour infini. Il justifie également l’homme, car Il a montré et réalisé l’image de l’homme parfait qui plaît au Père. Dieu nous donne sa grâce à la mesure de notre reconnaissance envers Lui. Autrement dit, nous ne possédons que ce que nous reconnaissons avoir reçu de Lui.
La prière de Jésus est une prière d’une seule pensée. Sa simplicité est justement ce qui la rend si exigeante. En enfermant l’esprit dans les mots de la prière ou plutôt dans la partie supérieure du cœur, nous évitons l’action dissipante de l’imagination et l’attachement aux réalités éphémères de ce monde. Nous contraignons le cœur et l’esprit à vivre avec la seule pensée de Dieu, accompagnée de repentir. Cet effort ascétique a pour vertu de rendre le cœur contrit, sensible, plein d’une douleur spirituelle. Cette souffrance, à son tour, attire l’intellect, le fait decendre dans le cœur. L’intellect et le cœur sont alors unis, renforcés par la grâce; notre cœur devient véritablement le centre de notre être. "D’un cœur brisé, Dieu n’a point de mépris" (Ps 50,19). Et un cœur contrit est sans pensées.
Par ses efforts et la grâce de Dieu, la synergie entre sa volonté et celle de Dieu, l’homme est ainsi guéri, restauré dans son intégrité première. Par ce processus de guérison, qui passe par l’unification de l’esprit et du cœur, il revient à un état "normal", naturel: celui d’Adam au paradis, de l’homme avant la chute. Détaché des biens matériels, il devient capable d’accomplir le grand commandement évangélique: aimer Dieu de tout son cœur, de tout son esprit et de tout son être, et son prochain comme soi-même.
Pour arriver à l’état d’unification intérieure, pour mettre le cœur dans une juste disposition, il n’y a qu’un moyen: le repentir, la métanoïa. Par le repentir, nous nous voyons tels que nous sommes. Si nous étions capables de voir toutes les impuretés de notre cœur, tout ce qui en nous nous sépare de Dieu, nous rend opaques à l’action de l’Esprit saint, notre zèle spirituel et notre désir de purification intérieure exploseraient. Ici aussi, l’humilité est la clé. Elle nous préserve de la tentation du désespoir quand nous voyons notre néant et notre état misérable. Elle nous permet d’éviter de nous enorgueillir quand nous sentons la force du Nom et l’action de l’Esprit saint en nous.
Dans ce processus, qui est une lutte, nous sommes "initiés" à la vie mystique en Christ. Nous voyons tout ce qui existe à travers cette Présence, dans la lumière de l’Esprit. Nous apprenons à discerner, de plus en plus finement, aussi bien les mouvements de notre cœur qui nous ouvrent à l’amour que les passions et les pensées étrangères à l’esprit du Christ qui nous séparent de Dieu. Notre capacité de vigilance augmente. Le mal, les pensées passionnées continuent certes de nous environner, de nous attaquer, mais elles ne peuvent plus pénétrer dans notre cœur. Ainsi, la prière et toute notre vie – intérieure et extérieure – qui en découle, concourt à notre sanctification par l’amour dans l’Esprit. La sobriété de l’esprit redevient naturelle en nous, car Celui qui trône dans le cœur, qui est en nous, est "plus grand que celui qui est dans le monde" (1 Jn 4,4).
La prière, par l’action de la grâce, nous aide, nous apprend à transformer nos états psychiques en états spirituels. Imaginez qu’un ami vous trompe, vous frappe ou répande des calomnies sur vous. Vous êtes profondément blessé, triste, déçu. Vous souffrez. Qu’allez-vous faire de cet état émotionnel, de ces énergies psychiques négatives qui travaillent en vous? Si vous en restez-là, à les ressasser, cela ne sert à rien; vous vous ferez souffrir encore davantage, inutilement. Vous resterez dans la logique du vieil homme, qui conduit à la mort. Par la puissance du Nom, vous pouvez réorienter ces énergies, les retourner du bas vers le haut, les transformer. Certes, la blessure que l’autre vous a infligée ne disparaît pas; elle demeure, mais vous en oubliez le comment. Vous oubliez d’où est venue cette énergie négative, qui vous l’a donnée. Votre cœur reste triste, contrit, vous continuez à souffrir, mais de psychique votre souffrance devient spirituelle; d’humaine, elle devient divino-humaine, transfigurée par la grâce. Alors, vous pouvez dire, en vous adressant au Père: "Tu as vu que j’étais dans un état de paresse spirituelle, d’autosatisfaction, de sommeil, et tu as envoyé mon frère comme un ange pour me réveiller. Je te rends grâce pour ta bienveillance. Par les prières de mon frère qui m’a blessé, Seigneur, aie pitié de moi et sauve-moi!"
Nous devons apprendre à retrouver notre cœur profond, à vivre avec lui, en lui. C’est essentiel. Car la parole de Dieu s’adresse d’abord au cœur, et si nous n’apprenons pas à vivre dans notre cœur, comment pourrons-nous la comprendre? Sans la purification du cœur, l’Evangile reste un livre fermé. Vivre selon les commandements du Christ, c’est porter la parole de Dieu dans notre cœur pour qu’il s’enflamme. Il en va de même pour la liturgie eucharistique. Pour célébrer ce grand mystère, il faut un cœur brûlant comme le Buisson ardent; si nous ne vivons pas dans notre cœur, si notre cœur ne brûle pas pour le Christ, comment voulons-nous comprendre la fraction du pain?
L’Archimandrite Sophrony définissait la prière comme une "création infinie". La prière pure est la prière qui est propre à celui qui a réalisé la ressemblance de Dieu. Par l’invocation du Nom, l’homme – créé originellement à l’image de Dieu – justifie son Créateur qui a déposé dans sa nature le germe d’une gloire et d’une paix, d’une beauté et d’un amour infinis. Par cette prière, on peut devenir si proche du Seigneur, si plein de son Esprit, si enveloppé de son amour, qu’on entre dans la Lumière incréée, où l’on ne sait plus si l’on est hors ou dans son corps. On commence par de petites choses, mais, à force d’attention, de persévérance et de patience, on peut devenir comme des anges devant le trône de Dieu qui glorifient le Seigneur jour et nuit, sans repos. Les anges ont un tel désir de Dieu qu’ils n’ont qu’une pensée, qu’une volonté: s’unir à Lui et l’absorber de tout leur être.
Par l’invocation du Nom de notre Dieu et Sauveur Jésus-Christ, un humble esprit est établi dans le cœur profond. Alors est renouvelé en nous l’Esprit d’adoption qui crie dans notre cœur: "Abba, Père" (Rm 8,15). Quand l’Esprit de Dieu prie en nous, quand Il "intercède pour nous en des gémissements ineffables" (Rm 8,26), nous devenons des enfants de Dieu. La vraie prière est engendrement, filiation.
Ainsi l’invocation du Nom, d’un cœur pur, devient le but de tout chrétien. Par elle, la présence de Dieu règne dans l’homme. Par cette présence, il devient la montagne ou le temple de Dieu. Et le temple de Dieu est saint, "et ce temple, c’est vous" (1 Co 3,17).
Quand le Nom est dans le cœur, on a tout, car Jésus-Christ est présent.
Lu et reproduit de la revue
Itinéraires : Recherches chrétiennes d'ouverture
(Le Mont-sur-Lausanne, Suisse), No. 23, 1998.
L’auteur de ces lignes est un prêtre et moine d’origine chypriote : le père Zacharie.
Il vit au monastère Saint-Jean-Baptiste (Essex, Angleterre), fondé en 1959 par l’Archimandrite Sophrony (1896-1993) qui était lui-même le disciple du starets Silouane (1866-1938), canonisé en 1987 par le Patriarcat de Constantinople.
Il vient de soutenir une thèse sur le Principe de l’Hypostase (la Personne) dans les écrits spirituels de l’Archimandrite Sophrony à la Faculté de théologie de Thessalonique (Grèce).
Saint Paterne, qui êtes-vous ?
Évêque de Vannes
(Ve siècle)
Saint Paterne naquit dans l'Armorique, aujourd'hui la Bretagne , vers l'an 490.
Il est surnommé aussi Paterne l'Ancien, pour le distinguer de celui de Coutances en Normandie.
Il se retira dans le comté de Cardigan au pays de Galles, et y embrassa l'état monastique. Son éminente sainteté le fit ensuite choisir pour être le supérieur des religieux de cette contrée. Il bâtit des églises et fonda des monastères dont le plus considérable fut celui de "Llan-Paderne-Vaur", qui signifie église du grand Paterne.
Il fit un voyage à Jérusalem, et y fut sacré évêque par le patriarche de cette ville. Après son retour il demeura encore quelque temps au pays de Galles.
De retour en Armorique, le roi Caradauc lui confia l'évêché de Vannes. Devenu évêque de Vannes, il bâtit un monastère près de cette ville.
Il donna des preuves de sa douceur et de sa patience dans la conduite qu'il tint envers de faux-frères qui avaient indisposé contre lui quelques évêques de la province. Il oublia, pour le bien de la paix, toutes les injures qu'il avait reçues, et se retira près de la ville de Vannes.
Il mourut vers l'an 555.
@Vie des saints pour tous les jours de l'année, Mame 1867
Grégoire de Narek : moine, poète et docteur de l'Eglise
Par PASCAL MAGUESYAN dans « La Vie »
Le pape François a proclamé docteur de l’Église le mystique du Xe siècle. Mille ans après sa mort, son œuvre reste au cœur de la littérature nationale.
C’est une bourgade agricole typique de cette Turquie orientale, à 2 km au sud du lac de Van. Ce village kurde et musulman se nomme Yemişlik. Autrefois, c’était Narek. C’était un village arménien. C’est là que vécut saint Grégoire, célèbre moine et prêtre arménien du Xe siècle, fantastique poète mystique, dont l’œuvre théologique, littéraire et spirituelle a traversé les siècles et les frontières.
Grégoire de Narek (fêté le deuxième samedi d’octobre dans l’Église apostolique arménienne, le 27 février dans l’Église catholique) est à présent le 36e docteur de l’Église. Cette proclamation effectuée par le pape François, dimanche 12 avril en la basilique Saint-Pierre de Rome, devant les fidèles de rite arménien, à l’occasion de la commémoration du centenaire du génocide des Arméniens, témoigne de la communion de l’Église catholique avec une civilisation chrétienne orientale décimée dans son berceau géographique. « Des 36 docteurs de l’Église, Grégoire de Narek est le deuxième Oriental (ne parlant ni grec ni latin et vivant hors des limites de l’Empire byzantin), après saint Éphrem de Nisibe. Il était très important, dans l’état actuel de cette prise de conscience hélas tardive pour les chrétiens d’Orient, que cette année-ci au moins, un autre Oriental devienne docteur de l’Église », souligne Jean-Pierre Mahé, membre de l’Institut et traducteur de l’œuvre de saint Grégoire.
Grégoire est né entre 940 et 950 et mourut entre 1003 et 1010.Figure volcanique de la mystique chrétienne de langue arménienne, il est l’auteur du mémorable Livre des Lamentations, appelé aussi Livre des Prières, devenu pour les Arméniens une sorte de texte sacré. « Livre le plus répandu après la Bible, poésie mêlant au repentir la consolation et l’espérance, cette suite de Paroles à Dieu des profondeurs du cœur (…), devenu au long des siècles le compagnon de tout Arménien lettré, a rejoint légitimement les chefs-d’œuvre de la littérature universelle. Quant au monastère de Narek, il est resté jusqu’au XXe siècle le lieu de rassemblement d’innombrables pèlerins » (Keram Kevonian, Union internationale des organisations Terre et Culture).
Le verbe de Grégoire est une inlassable quête du Verbe : « Rayon béni, soleil de justice, Désir ardent, figure de lumière, Insondable et très-haut, ineffable et puissant, / Allégresse du bien, vision de l’espérance, Dieu loué dans les cieux, glorieuse royauté, Christ qui nous créas, vie partout célébrée, / Daigne emplir à présent, de ta souveraine éloquence, Le défaut de ma voix, les multiples erreurs de ma misère : Présente mes prières en agréable offrande à la majesté de ton Père, (...) » (Prière 95, Trésor des fêtes, hymnes et odes de Grégoire de Narek, traduction et notes de Annie et Jean-Pierre Mahé, Peeters, 2014). Outre les 95 prières du Livre des lamentations, Grégoire est également l’auteur d’odes, d’hymnes, de panégyriques, de litanies et de méditations. C’est dans l’enceinte du monastère de Narek et dans une grotte toute proche où il pratiquait la « méditation solitaire » que Grégoire composa ses œuvres, « rassemblées, mises en forme, calligraphiées et copiées dans trois recueils sous l’autorité de son frère Jean, devenu abbé du monastère », précise Jean-Pierre Mahé.
Grégoire mourut à Narek et y fut inhumé peu de temps après l’achèvement du Livre des Lamentations. De ce grand monastère et scriptorium où l’on enseigna également les sciences, la philosophie et la musique, il ne reste rien. Le monastère a été pillé en 1895 pendant la période dite des massacres hamidiens ordonnés par le sultan Abdülhamid II. Lors du génocide en 1915, les 123 familles arméniennes du village ont été liquidées. Enfin, le monastère de Narek a été totalement rasé en 1951 sur ordre des autorités préfectorales. En lieu et place a été construite une mosquée.
Tout étranger qui passe aujourd’hui par Narek/Yemişlik est immédiatement suivi d’une nuée d’enfants qui n’ont que ces mots à la bouche : « Photo, photo ? » Ils savent bien ce qui attire les visiteurs : les ultimes pierres à croix encore visibles. Ici, une stèle funéraire au pied de l’escalier de la mosquée, là quelques pierres gravées dans l’entrepôt. C’est tout ce qu’il reste du vaste monastère de l’immense saint Grégoire. Les enfants rient mais ne savent rien, les anciens marmonnent parce qu’ils savent tout.
Prière de St Grégoire de Narek à la Mère de Dieu :
Que s’élève par moi ton honneur
Et mon salut éclatera par toi,
Si tu viens à me retrouver, Mère de Seigneur !
Si tu me prends en pitié, Vierge sainte,
Si tu changes en profit ma perte, Vierge immaculée,
Si tu guéris ma ruine, Vierge bienheureuse,
Si tu laisses avancer ma honte, Vierge pleine de grâces,
Si tu plaides mon désespoir, Vierge toujours pure,
Si tu me reçois sous le toit dont je fus chassé, Vierge honorée par Dieu,
Si tu m’entoures de ta piété, Vierge qui détruit la malédiction,
Si tu apaises ma tempête, Vierge du repos,
Si tu mets fin aux violentes tourmentes, Vierge pacifique,
Si tu répares mes erreurs, Vierge de louanges,
Si tu entres pour moi dans l’arène, Vierge qui repousses la mort,
Si tu changes en douceur mon âpreté, Vierge suave,
Si tu brises le mur qui me sépare, ô Vierge du pardon,
Si tu dissipes mes souillures, Vierge dont le pied écrase la corruption ;
Si tu m’ôtes au trépas, à quoi je suis livré, lumière vivante,
Si tu coupes le bruit de mes sanglots, Vierge d’allégresse,
Si tu me fortifies, lorsque je suis brisé, remède du salut,
Si tu considères ma ruine, temple de l’esprit,
Si tu viens vers moi avec compassion, Mère qui fus léguée
Et qui seule est bénie sur les lèvres sans tache dans la bouche des bienheureux.
Une goutte de lait de ta virginité
Rend vigueur à ma vie en pleuvant sur mon âme,
Ô Mère du Très-Haut, du Seigneur Jésus,
Créateur du ciel et de la terre entière,
Que tu as mis au monde, inexprimablement, avec une vraie chair, une divinité sans faille,
Gloire à lui, comme au Père, et avec l’Esprit Saint,
Dans son essence et dans notre nature, qu’il réunit indescriptiblement,
Tout dans le tout, Un de la Trinité,
Loué soit-il dans les siècles des siècles,
Amen.
Saint Grégoire de Narek (XI° siècle)
Traduction par Annie et Jean-Pierre Mahé, Ed. Peeters, 2007; p. 372 §3