Exposé donné lors d'un pèlerinage orthodoxe à Felixstowe en août 2001
INTRODUCTION
Nous entendons parfois des gens raconter comment ils en sont venus à rejoindre l'Eglise orthodoxe. Bien que chaque histoire soit intéressante, et parfois même extraordinaire, je pense que les histoires racontant comment des gens sont restés de fidèles chrétiens orthodoxes malgré les tentations seront de plus grande utilité. Comme il est écrit dans l’évangile: "C'est à votre constance que vous devrez votre salut" (Luc 21,19).
De plus, je n'ai pas intitulé cet entretien "Comment entrer dans l'Eglise orthodoxe"mais "Comment devenir et rester un chrétien orthodoxe." Car rejoindre l'Eglise orthodoxe ou devenir un membre de l'Eglise orthodoxe, cela concerne des changements externes, et ce n'est pas la même chose que "devenir un chrétien orthodoxe," qui concerne des changements intérieurs. Et rester un chrétien orthodoxe est encore plus important, c'est pourquoi j'ai consacré 3 fois plus de temps à cette partie-là qu'à comment devenir chrétien orthodoxe.
DEVENIR ORTHODOXE – CONVERSION ET INTÉGRATION
Définissons d'abord nos termes en parlant d'un nombre de mots qui sont utilisés dans ce contexte. Tout d'abord, il y a la phrase nulle "orthodoxe de naissance." Cela n'existe pas. Personne n'est "né orthodoxe", nous sommes tous nés païens. C'est pour cela que nous exorcisons d'abord puis baptisons. Plus acceptables sont les termes, "né dans une famille orthodoxe" et "orthodoxe depuis le berceau". Il est intéressant de noter que les gens qui utilisent avec condescendance des termes comme "orthodoxe de naissance" appellent les enfants des "convertis"… des "convertis".
Ensuite il y a le mot "converti." Lorsque des gens disent qu'ils sont convertis, je leur demande d'abord : "Convertis à quoi?" Au folklore grec? A l'alimentation russe? Au pharisaïsme? A la nostalgie d'un anglicanisme ou d'un catholicisme-romain démodés? A un passe-temps intellectuel de syncrétisme?
Il est vrai, en un sens, que nous sommes tous, toujours, des convertis, parce que nous avons tous à constamment nous convertir au Christ. C'est le sens du Psaume 51. Le roi-prophète David aussi fut un converti, un "né de nouveau", après son grand péché. Hélas, le mot "converti" n'est en général pas utilisé dans ce sens spirituel mais dans un sens séculier. J'espère que quand les gens s'appellent eux-mêmes "convertis", ils veulent dire qu'ils sont convertis au christianisme (qui est le mot correct pour orthodoxie). J'espère aussi que quand ils disent qu'ils sont "convertis", cela signifie qu'ils ont été très récemment reçus dans l'Eglise. Hélas, je dois admettre que ce n'est pas toujours le cas. Les années passant, j'ai rencontré des gens qui étaient entrés dans l'Eglise orthodoxe dix, vingt, trente ans auparavant voire plus, et qui étaient encore des "convertis" et même qui s'appelaient eux-mêmes "convertis". Et ceci même dans le cas de certains clercs, prématurément ordonnés.
Cela me dépasse, car cela signifie que même après des années comme membres "de nom" de l'Eglise orthodoxe, ils ne sont pas encore devenus chrétiens orthodoxes, ils n'ont pas encore intégré l'Eglise, ils n'ont pas encore grandit naturellement dans l'orthodoxie, et il ne mènent toujours pas un genre de vie orthodoxe, ils n'ont pas encore acquis cet instinct d'orthodoxie, qui signifie que l'orthodoxie est leur unique demeure spirituelle, qu'elle est leur os et leur sang, qu'ils respirent l'orthodoxie parce que leurs âmes sont orthodoxes. Ils souffrent de l'affliction spirituelle du "convertitisme". Ils sont restés néophytes. Ils n'ont accompli que ce que le diable voulait qu'ils accomplissent – être incomplets. C'est pourquoi les Russes, faisant un jeu de mot sur le mot russe "konvert", qui signifie une enveloppe, disent plutôt vrai en parlant de certains convertis : "le problème avec le 'konvert', c'est qu'il est soit souvent vide, ou souvent décollé."…
Il peut y avoir bien des raisons à cet état de convertitisme. Ce peuvent être des gens qui sont rentrés dans l'Eglise orthodoxe et n'ont pas trouvé de paroisse où aller, au moins avec des offices dans une langue qu'ils pourraient comprendre. Par exemple, j'ai rencontré des gens qui avaient été orthodoxes depuis quarante ans mais n'avaient jamais participé à une vigile pascale dans leur propre langue! J'ai rencontré des gens qui étaient orthodoxes depuis cinq ans et n'avaient jamais assisté à la moindre vigile pascale, parce que leur communauté orthodoxe locale n'a que dix liturgies par an et uniquement des samedis matin ! J'ai rencontré des gens qui étaient orthodoxes depuis soixante ans et n'avaient jamais été à des vêpres ou un office de vigile! En d'autres mots, de telles personnes n'ont jamais eu l'opportunité d'apprendre et de s'intégrer. Cependant, il y a malheureusement aussi d'autres raisons pour lesquelles des gens ne s'intègrent pas dans la vie de l'Eglise.
En principe, le clergé ne devrait recevoir quelqu'un au sein de l'Eglise orthodoxe que pour des raisons positives. Le fait est qu'il y a des gens qui souhaitent rejoindre l'Eglise orthodoxe pour des raisons négatives, par exemple par dégoût pour une Eglise ou un membre de son clergé. C'est de la psychologie, pas de la théologie, et en plus, pas très saine, ni très chrétienne, comme psychologie.
Je me souviens comment dans les années 1970, celui qui est à présent l'évêque Kallistos [Ware] me raconta comment un groupe de convertis lui avaient demandé d'écrire un livre dénonçant toutes les hérésies de l'anglicanisme. Les convertis en question, et ils étaient en effet convertis, étaient bien entendu tous des ex-anglicans! Ils n'avaient pas compris que leur motivation, à tous, provenait de leurs problèmes psychologiques personnels, de leur réaction, qu'ils étaient occupés à masquer derrière leur zèle passionné. C'est fort justement que l'évêque Kallistos refusa d'écrire quelque chose de négatif. En tout cas, aucun orthodoxe n'aurait acheté le bouquin, parce qu'il n'aurait pu être de quelqu'utilité que ce soit pour des néophytes ex-anglicans. Ce fut un livre en moins à réduire en pâte !
Habituellement, un prêtre sait découvrir si les motivations de ceux qui souhaitent rejoindre l'Eglise orthodoxe sont négatives rien qu'en attendant de voir si ces gens viennent aux offices religieux. Habituellement, ces gens super-zélés qui aiment lire à propos de la foi ou parler de la foi dans des forums ou ailleurs, sont ces mêmes personnes qui font de l'absentéisme à l'église. Leur zèle se passe tout dans la tête ou dans leurs émotions, pas dans leur cœur et âme, et dès lors pas dans leur vie et leur pratique.
Ensuite, il y a ceux qui ont été attirés à l'Eglise par une découverte durant un voyage. J'appelle ces gens des "orthodoxes de vacances." Leur attirance n'est souvent pas vers le Christ, mais vers une culture étrangère et exotique – et plus exotique c’est, mieux c'est ! Menant une vie très monotone, l'Eglise orthodoxe leur donne quelque chose pour rêver, habituellement leurs prochaines vacances en Crête ou quelque part du genre. A nouveau, un prêtre sait facilement découvrir si leur intérêt est sérieux en regardant s'ils viennent à l'église. En général, ils ne viennent pas, parce qu'ils ne sont pas en vacances! Hélas, certains d'entre eux ont été reçus dans l'Eglise par des prêtres manquant de discernement, dans leur lieu de villégiature, que ce soit en Roumanie, Russie, Grèce, Chypre, au Mont Athos ou ailleurs. Ne connaissant rien de la foi orthodoxe, ils se présentent sur le pas de votre porte et vous avez à leur expliquer que bien qu'ils soient membres de l'Eglise orthodoxe, ils ne sont en réalité pas encore devenus orthodoxes. Souvent, de toute manière, de telles personnes peuvent bien vous téléphoner, mais en général ne viendront jamais à un office à l'église, parce qu'ils auront cessé de pratiquer avant de s'être préparés à venir à l'église.
Ensuite il y a ces gens qui viennent avec leur propre agenda, souvent des "je-sait-tout", qui ont lu tous les livres existant sous le soleil, mais n'ont pas encore la moindre idée de la lettre A de l'ABC chrétien. Et ils arrivent avec leurs desiderata qu'ils souhaiteraient imposer! "Oui, je veux rejoindre l'Eglise orthodoxe, mais à condition qu'elle ait d'abord été 'réformée' et 'modernisée'!" - "Oui, c'est bon ainsi, mais je voudrais qu'on rajoute quelques hymnes occidentaux avant le Canon!", ou "Je ne rejoindrai l'Eglise orthodoxe que lorsqu'elle célébrera Pâques en même temps que ma tante Suzanne qui est protestante!", ou "Tout est parfait sauf que vous utilisez beaucoup trop de cierges. Retirez ces cierges et je rejoindrai l'Eglise orthodoxe." - "Je ne deviendrai orthodoxe que si vous avez une icône de S. François d'Assise!" - "Je ne rejoindrai l'Eglise orthodoxe qu'à condition que tout le monde y vote pour le parti politique XYZ et aille en vacances en Toscane!". Ce sont peut-être des exemples extrêmes, mais ce sont des exemples authentiques. Ce sont tous des exemples de manque d'humilité. Aucun prêtre ne devrait recevoir des gens pareils au sein de l'Eglise pour la simple raison qu'ils n'aiment pas et n'acceptent pas l'Eglise et son Maître le Christ. Il n'y a qu'un seul critère pour entrer dans l'Eglise orthodoxe, c'est parce que vous êtes convaincus que c'est pour votre salut personnel, pour votre survie spirituelle, parce que c'est la sainte volonté de Dieu pour vous, parce que vous savez que c'est votre demeure spirituelle, et que quelqu'en soit le prix, vous ne pourrez jamais être rien d'autre.
Récemment, un prêtre qui avait reçu des gens dans l'Eglise au cours des vingt dernières années me raconta que la liste de gens qu'il avait reçus et qui avaient fait défection était plus longue que celle de ceux qu'il avait reçus et qui avaient persévéré. Ce prêtre est relativement prudent quand il s'agit de recevoir les gens, mais je connais deux autres paroisses où la liste des défections est au moins vint fois plus longue que celle des persévérants. Dans les deux cas, je dois admettre que c'est la politique de la paroisse qui est à remettre en cause. Présentez-vous y et demandez, et vous serez automatiquement reçus dans l'Eglise endéans les deux semaines, sans la moindre instruction.
Mais pourquoi alors est-ce que des gens abandonnent la pratique de la foi à laquelle ils ont choisit d'appartenir de leur plein gré? Si nous examinons cette question, peut-être pourrons-nous apprendre quelques leçons qui sont utiles pour nous et qui pourrons nous aider à rester un fidèle orthodoxe.
Tout d'abord, nous devons nous examiner nous-mêmes. A quoi sommes-nous en fait attachés dans l'Eglise? Il y en a qui disent : "C'était si merveilleux à l'église aujourd'hui! Le chant était si beau, l'encens sentait si bon!" Des paroles pareilles me font penser qu'il est peu probable que cette personne revienne. De telles personnes semblent avoir un feu intérieur qui éclate dans un jaillissement d'enthousiasme et d'émotion. Mais comme tous les feux vifs, ils brûlent vite et ne laissent que des cendres froides. Cet attachement aux apparences et à l'exotisme est dangereux, parce que nous passons à côté de l'essentiel.
L'attachement aux apparences peut s'étendre aux vêtements, langues, nourriture et folklore étrangers. Je me souviens d'une paroisse russe en Belgique, on savait directement qui y étaient les convertis : les hommes portaient des barbes de paysans russes du XIXe siècle, et les femmes portaient des longues jupes sans élégance et semblaient porter une nappe de table sur la tête. Vous saviez qui étaient les Russes parce qu'ils étaient habillés normalement. Dans une paroisse grecque ici, il y avait deux prêtres, un Grec et un converti. Vous reconnaissiez directement qui était le converti parce qu'il portait d'énormes robes à large manches et un énorme chapeau-cheminée sur sa tête ; le Grec ne portait qu'une tunique. Dans une autre paroisse russe, les Russes parlaient toujours de chanter, de Noël et de Pâques, mais les "convertis" (et c'est bien ce qu'ils étaient) parlaient de "psalmodier" et "la Nativité" et "Pascha." Un vrai Russe, né en Union Soviétique, me raconta un peu cruellement pourquoi il aimait le converti de sa paroisse "parce qu'il me fait marrer avec tout son folklore." Le zèle non-éclairé est toujours ridicule.
Le zèle doit être canalisé afin d'atteindre quelque chose de positif. J'ai un ami Chypriote grec, né et élevé à Londres, qui me raconta que son plat préféré était le steak et la tourte aux rognons, et que c'était la première chose qu'il mangeait à Pâques lorsque le jeûne était finit. Je lui ai demandé s'il mangeait parfois dans un restaurant grec. Il répondit : "Oh non, ça c'est juste bon pour les Anglais." Il me raconta aussi comment à Londres, dans les mariages entre Chypriotes, les invités avaient l'habitude d'attacher des billets de banque aux vêtements du nouveau couple, une sorte de cadeau de mariage. Lorsque pour la première fois il vit un mariage à Chypre, alors qu'il avait 25 ans, les gens là-bas ne firent pas cela. Pourquoi? Parce qu'ils avaient cessé de le faire dans les années 1960, considérant cela comme une sorte de coutume paysanne primitive. En d'autres termes, ils avaient cessé de le faire après que la plupart de leurs compatriotes Chypriotes grecs avaient émigré à Londres, mais ceux à Londres avaient conservé la vieille coutume des années 1950. Et voilà que les convertis veulent imiter cette coutume morte !
A cet égard, j'ai rencontré récemment un autre "converti" qui venait de rentrer de vacances en Grèce, et en parlait avec beaucoup d'enthousiasme comme étant une "terre sainte" pleine de "saintes personnes," parce que "les orthodoxes sont saints". Hé bien, je ne peux que supposer qu'il a dû passer tout son séjour dans d'excellents monastères – en passant, tous les monastères ne sont pas excellents. Je recommanderais à de telles personnes d'aller visiter les prisons grecques. Elles sont pleines d'orthodoxes – des voleurs, des assassins, des violeurs, des proxénètes, des escrocs orthodoxes. Vous pouvez le dire, ils sont tous orthodoxes! Voyez-vous, la nature humaine est la même dans le monde entier.
Ce que je veux dire c'est que si nous nous attachons aux apparences, alors nous devrions d'abord nous demander à nous-mêmes : à quelles apparences sommes-nous donc attachés? Si nous ne faisons pas preuve de discernement, nous pourrons en effet avoir l'air fort bête. Toutes les apparences ne sont naturelles que si elles reflètent ce qui est en nous. Si le christianisme orthodoxe est en nous, alors nos apparences seront celles de tout chrétien orthodoxe. Nous gagnerions certainement à prendre l'habitude de visiter d'autres paroisses orthodoxes, des pays où il y a beaucoup d'églises orthodoxes, observant et analysant notre aspiration à l'authenticité. La pire des choses ce sont ces petites communautés de "convertis", refermées sur elles-mêmes, et qui ne voient jamais rien d'autre. Elles peuvent finir par avoir des pratiques qui n'existent nulle part ailleurs sur terre, et cependant penser être "plus orthodoxes" que qui que ce soit d'autre! A nouveau, l'humilité est la solution pour guérir cette maladie, et l'humilité commence avec le réalisme, pas avec la fantaisie. Aucune spiritualité n'a jamais été fondée sur de la fantaisie. Sans une sobre humilité, il y a toujours l'illusion, qui est suivie par le découragement et la dépression. C'est la loi spirituelle.
Voir la réalité d'églises orthodoxes est un excellent remède contre la maladie des fantaisies. Se rappeler que certaines Eglises orthodoxes sont des Eglises d'Etat, et que bien d'autres ont des mentalités d'Eglise d'Etat. Une expérience qui donne à réfléchir, c'est la rencontre avec un certain nombre de ces diacres, prêtres et évêques qui se vantent de combien "ils gagnent" comme salaire, qui sont "hors service" à partir de 17h et les lundis et jeudis, et qui ne peuvent dès lors pas y célébrer de funérailles, qui disent qu'être dans le clergé c'est un bien meilleur boulot que ce qu'ils auraient autrement dû faire parce qu'ils n'étaient pas trop brillants à l'école et que l'alternative c'était être larbin dans une usine. .. Mais c'est la réalité. Le contact avec cette réalité peut être de grand secours pour mettre un terme au zèle non-éclairé, aux ghettos de convertis, à tout ce que j'appelle "l'effet de serre". Cela ramène les gens les pieds sur terre, et cela leur rappelle que c'est là où il devrait se trouver, car notre religion est la religion de l'Incarnation. Ce que les autres pensent et font, ce ne sont pas nos affaires, notre tâche c'est le salut de notre propre âme.
A cet égard, une des principales raisons pour laquelle certains convertis ne cessent pas d'être des convertis et ne deviennent pas orthodoxes, c'est parce qu'ils n'ont pas de travail. Le besoin de gagner votre pain quotidien, d'être avec d'autres personnes, est un excellent moyen pour que les gens commencent à vivre leur foi (au lieu de juste y réfléchir). Ceci peut éviter ce qu'on appelle les tentations de la gauche et de la droite. Les tentations de gauche sont le laxisme, la faiblesse, le compromis, l'indifférence. Les tentations de droite sont : juger sévèrement les autres, le zèle méprisant du Pharisien, "le zèle non-éclairé." Ces tentations sont d'un danger équivalent et doivent être autant combattues les unes que les autres. Toutes amènent à un gaspillage d'une quantité énorme de temps et d'énergie dans des distractions telles que la discussion sur des problèmes sans intérêt genre l'œcuménisme, plutôt que de prier. Vivre dans la société est le moyen qui nous permet d'apprendre à nous connaître nous-mêmes, voir nos défauts et éviter de nous fourvoyer dans des problèmes théoriques.
Certains sont vraiment imbus d'eux-mêmes! Certains sont vraiment pleins de suffisance et se gonflent. D'abord – si vous le leur permettez – ils vont vous détailler l'histoire de leur vie, et ensuite ils vont vous raconter les derniers ragots à propos du prêtre X, de l'évêque Y, et ensuite de la juridiction Z. Et cela quand bien même ils ne connaîtraient pas l'ABC de la foi d'un enfant. Cependant, le fait est que le christianisme, et c'est ce dont nous parlons, ce n'est rien de tout cela. Si vous n'avez pas de contact avec la réalité, alors vous n'apprendrez jamais les choses réelles. La vie de l'Eglise n'a rien à voir avec toute cette absurdité. Il n'y a rien de plus ennuyeux que de discuter de la personnalité et des activités d'autrui, clergé ou laïc, sauf bien sûr du péché les concernant, car le péché est toujours ennuyeux, c'est toujours la même chose. Posez la question à quelqu'un qui écoute des confessions !
La vie d'Eglise, c'est : qui va faire le café? Qui va faire la vaisselle? Qui va s'occuper des fleurs? Qui va tondre la pelouse? Qui va préparer et cuire les prosphores? Qui va nettoyer les toilettes? Saint Nectaire accomplissait cette dernière tâche alors qu'il enseignait à Athènes, quand bien même il portait l'imposant titre de "métropolite de la Pentapole". Alors comment pourrions-nous nous en plaindre? Après tout, c'est une des premières tâches confiées aux novices dans les monastères !
Bien entendu, ce ne sont pas les principales tâches dans la vie de l'Eglise. Continuons :
La vie d'Eglise, c'est : Qui va apprendre à chanter? Qui va venir à tous les offices à l'église? Qui va respecter tous les jeûnes de l'Eglise? Qui va lire chaque jour ses prières matinales et vespérales? Qui va se préparer consciencieusement pour la confession et la communion? Qui va lire tous les jours les lectures prévues de l'évangile et de l'épître? Et en fait, si vous voulez la réalité brute, qui choquera certains "convertis": la vie d'Eglise c'est aussi: qui paiera les factures? Oui, la vie d'Eglise, cela concerne l'engagement, la chose qui manque le plus dans notre culture actuelle, tiédasse et médiocre. Etre un chrétien, et je vous le rappelle, c'est tout ce que le mot "orthodoxe" signifie, c'est très difficile. Depuis le Christ, personne n'a jamais dit autre chose. Sans un engagement ferme, nous ne resterons jamais orthodoxes. Etre chrétien, c'est aimer Dieu et aimer son prochain. Si nous ne sommes pas préparés ne fût-ce qu'à l'essayer et le mettre en pratique, alors ça n'ira jamais. Malheureusement, certains pensent qu'être un chrétien orthodoxe – je sais, c'est un raisonnement vide, un cercle vicieux – ça ne concerne pas l'amour de Dieu et de son prochain. Ils pensent qu'il s'agit de lire des bouquins, d'avoir des opinions, de condamner autrui, de manger de la nourriture étrange, d'être intolérant, ou de porter des vêtements bizarres. Notre Seigneur n'a jamais rien dit de tout cela. Il a dit : "Je vous donne un commandement nouveau: Aimez-vous les uns les autres" (Jean 13,34). Le fait est que tous les chrétiens étaient autrefois chrétiens orthodoxes, mais la plupart n'ont pas compris et ont chuté.
Le christianisme orthodoxe, ce n'est pas être reçu dans l'Eglise orthodoxe et puis dire : "Ça y est, j'y suis arrivé." C'est entrer dans l'arène, c'est se trouver sur la croix. J'ai souvent entendu des anglicans dire: "Je sais que l'orthodoxie, c'est l'authentique, mais je n'y parviendrais jamais." Je suppose que cela a au moins le mérite de l'honnêteté. Je pense toujours à ces paroles de ce saint prêtre, Clément d'Alexandrie, au IIIe siècle: "Si l'homme n'est pas couronné par le martyre, veillez à ce qu'il ne soit pas loin de ceux qui le sont." La solution, c'est de lire l'évangile selon saint Jean, d'avoir une règle de prière quotidienne. "Le Royaume des cieux est pris par la force", dit l'évangile.
La nostalgie se définit par un attachement au passé. Ce n'est pas chrétien, quand bien même nous trouverions naturel et humain d'avoir de l'indulgence envers nous-mêmes de temps à autre. Le problème est que cela nous détourne de vivre dans la réalité du temps présent, ce que nous sommes supposés faire. Certains par exemple vous diront qu'ils ne peuvent pas rester orthodoxes parce que cela signifie qu'ils ne pourraient plus faire ce qu'ils avaient l'habitude de faire – aller au bistrot les samedis soirs, ne plus manger de viande les dimanches durant les jeûnes. D'autres vous diront qu'ils trouvent non-hygiénique le fait d'embrasser des icônes, des reliques, la main du prêtre (et même prendre la communion) – ils n'ont jamais eu l'habitude de le faire. On se demande pourquoi de telles personnes se sont donné la peine de venir ici !
Oui, je comprends les problèmes des mariages mixtes, les problèmes de régime alimentaire, le problème de rendre visite à des parents qui ne sont pas orthodoxes, le problème des calendriers. Alors, voici deux choses. La première, l'Eglise n'est pas un bâton qui est là pour nous décourager. Mais souvent, les gens se fabriquent leur propre bâton pour se battre eux-mêmes. Si nous rendons visite à un parent durant une période de jeûne et qu'il nous offre de la nourriture non-carémique, l'Eglise ne nous dit pas d'être des bigots auto-satisfaits et de refuser. Elle nous dit d'être humbles. Certains disent : "Je ne peux pas manger cela car je suis saint." Oh oui, nous avons tous entendu cela, sinon dans ces termes-là, au moins dans cet esprit. Si l'oncle Alfred de votre épouse est terriblement malade, cloué sur son lit d'hôpital et désespérément seul et que la seule solution pour lui rendre visite, c'est le dimanche matin, alors l'Eglise nous dit d'aller lui rendre visite. C'est mieux que de refuser d'emmener votre épouse parce que vous avez besoin de la voiture pour aller "à mon église" et puis avoir une querelle familiale. Le bon sens commun et le discernement dans nos choix sont essentiels.
En ce qui concerne les mariages mixtes, le discernement est vital. J'ai vu des "convertis" orthodoxes harceler et harceler leur conjoint pour devenir membre de l'Eglise orthodoxe. Le résultat est toujours négatif. D'un autre côté, j'ai vu des gens attendre patiemment, 10, 20 ou 30 ans durant, sans ne fût-ce que mentionner la possibilité d'entrer dans l'Eglise orthodoxe, et pour finir, l'autre conjoint demandait spontanément à y entrer. C'est l'exemple de patience chrétienne du conjoint qui avait converti.
Dans les petites paroisses anglaises de l'Eglise orthodoxe, certains des problèmes d'isolement rencontrés par beaucoup qui se joignent à l'Eglise orthodoxe ont été résolus, au moins en partie. Si vous allez dans ce que j'appelle des "paroisses d'Eglise d'Etat", vous ne trouverez pas souvent du café ou du thé après l'office, ou quelqu'un avec qui parler. Inversement, la plupart des paroisses anglaises ont une salle paroissiale. Là, après la liturgie ou un office de semaine, les orthodoxes isolés, de quelqu'origine que ce soit, peuvent se rencontrer. Une personne venue chez nous, provenant d'Europe orientale, voyant cela, dit : "Ici, c'est comme dans l'Eglise ancienne". Bien sûr, elle ne voulait pas dire que nous étions "saints" ou quelque chose du genre, mais elle voulait dire que dans notre communauté, nous étions proches, nous nous connaissions les uns les autres.
Et ceci ne veut en rien dire qu'ici c'est "mieux" qu'en Europe orientale; c'est simplement que nous avons à former une communauté, avec une salle paroissiale, avec café et thé, parce que sinon nous ne pouvons pas survivre en tant que petit groupe minoritaire confessant des valeurs spirituelles dans le grand désert spirituel de la Grande-Bretagne moderne [- ou quelqu'autre pays d'Occident; note du traducteur]. C'est notre survie, c'est notre famille et communauté de substitution dans la société actuelle, fragmentée, individualiste, consumériste et sans vie relationnelle. Ce n'est pas nécessaire dans certaines parties de l'Europe orientale, parce que tout le monde y est orthodoxe, donc la communauté orthodoxe est tout autour de vous. Mais ici ce n'est plus le cas.
A présent, j'aborderai un problème très particulier qui concerne spécialement l'Anglais contemporain, et en particulier, le caractère anglican. La culture protestante ambiante en Grande-Bretagne pour au moins les six dernières générations a rendu les gens très "coincés" et réservés, ce qui est en réalité une forme d'orgueil. Pour nombreux Anglais, il est très difficile d'aborder la confession, un important sacrement dans l'Eglise orthodoxe. C'est pourquoi dans des cultures protestantes un peu moins coincées, comme dans ces Etats-Unis imprégnés de culture de l'introspection, bien que les gens n'aillent pas se confesser, ils vont chez leur psychothérapeute. Là, ils peuvent tout dire, et puisqu'ils paient, ils peuvent s'y entendre dire qu'ils sont des gens bien comme il faut. La confession est différente de cela. C'est une question délicate, et je pense qu'il est bon de parler de vos réserves avec un prêtre en dehors de la confession avant même d'aller en confession. Apprenez d'abord à vous connaître mutuellement.
Voici un certain nombre de choses à comprendre: Premièrement, aucune confession n'est faite à un prêtre. C'est à Dieu, en présence d'un prêtre, qui est supposé essayer de donner quelques conseils judicieux. La plupart des prêtres n'auront aucune objection à ce que vous vous confessiez auprès d'un autre prêtre, hors de votre propre paroisse. Certains se réjouiront même que vous le fassiez ! Trouvez le bon confesseur, qui vous convienne. S'il vit fort loin, donnez-lui votre confession par téléphone, courrier électronique ou lettre. Il vous répondra et ensuite vous irez chercher l'absolution auprès de votre prêtre local qui est au courant de cet arrangement. C'est la solution utilisée par les épouses et enfants des prêtres. Elle pourrait l'être par vous.
Pour finir, comme je l'ai déjà dit, il n'y a rien de plus ennuyeux que le péché. Je suis toujours surpris lorsque des gens viennent en confession et s'attendent à ce que je me souvienne de leur dernière confession. J'oublie toujours les choses ennuyeuses. Un des meilleurs pères confesseurs que j'aie jamais rencontré était presque totalement sourd. Après avoir dit ma partie, dont il n'avait quasiment rien entendu, il me donnait quelques-uns des meilleurs conseils que j’aie jamais reçus.
Il est inévitable que vous ne vous entendrez pas toujours avec tout le monde dans votre paroisse. Ainsi en est-il de la nature humaine. Mais ce n'est pas une raison pour vous en aller, claquant la porte, et ne restant pas orthodoxe. Peut-être passez-vous trop de temps à l'église en dehors des offices? Oui, nous prenons une tasse de café ou de thé après l'office, mais vous n'êtes pas obligé de rester. Certains des meilleurs orthodoxes ne restent pas ! Peut-être vos relations sont-elles trop proches avec les autres paroissiens ? Est-ce que ces personnes-là ne sont pas dans la même situation ? Si vous n'avez pas de centres d'intérêt communs, autres qu'avoir une foi commune, pourquoi passer tant de temps avec eux ? Passer trop de temps avec des gens avec qui vous avez si peu en commun en termes de caractère et de goûts est une bonne recette pour les conflits. Après tout, vous n'êtes pas marié avec eux !
Et il en est de même concernant votre relation avec le prêtre. Vous pouvez avoir quelque chose en commun en matière de personnalité. Mais peut-être pas. Peut-être ne le trouverez vous "pas assez monastique" ou peut-être le trouverez-vous trop "libéral" [laxiste, moderniste, ndt], ou peut-être tout simplement profondément ennuyeux. Bon, d'accord, mais aller à l'église n'a rien à voir avec une étroite amitié avec le prêtre et acheter les mêmes céréales pour petit-déjeuner que lui. Franchement, si vous savez ce qu'il mange au petit-déjeuner, alors vous le connaissez un peu trop bien.
Un autre domaine de conflits dans la vie paroissiale ce sont les assemblées et conseils paroissiaux. Dans la plupart des paroisses orthodoxes, ils ont lieu une fois par an, après la liturgie dominicale, durant le Grand Carême. Et cependant, j'ai entendu de certains groupes de convertis qu'ils se réunissent sans cesse, une fois par mois voire plus, discutant toujours des mêmes vieux trucs. C'est quelque chose qui vient de l'anglicanisme, pas d'une pratique orthodoxe. Franchement, cette sorte de vie est "presqu'incestueuse", beaucoup trop de proximité pour être à l'aise. La discussion de détails pointilleux n'est pas seulement ennuyeuse, mais c'est aussi une perte de temps. Pire encore, certains s'y impliquent de manière passionnée et s'attachent aux détails. Je me souviendrai toujours d'une personne, professeur d'Université, dans une réunion paroissiale il y a quelque 25 ans d'ici, qui déclara que si on repeignait le plafond de l'église en bleu, il n'y remettrait plus jamais les pieds. En fait, il ne l'a pas fait. Il est mort peu après…
Que retiendrez-vous de cet exposé? J'espère les points suivants :
Nous rentrons dans l'Eglise et nous restons dans l'Eglise afin de sauver nos âmes, et rien d'autre. L'Eglise n'est pas un loisir, un jeu, un intérêt privé, un prétexte, ou même une communauté. C'est le salut de nos âmes. Nous y réussissons en étant d'abord nous-mêmes et ensuite en étant le meilleur de nous-mêmes. S'il y a quoique ce soit d'autre, tout cela est secondaire. Nous ne devons jamais perdre cela de vue. Si nous le faisons, alors nous nous trompons et nous sommes sur la voie pour quitter l'Eglise.
Afin de sauver nos âmes, nous devons d'abord nous connaître nous-mêmes, recherchant et découvrant nos propres fautes, péchés et défauts. Ensuite, nous devons les prendre à bras le corps et les combattre, mais progressivement et en douceur, et commencer à les dompter, et ne jamais laisser tomber ce combat. Nous saurons que nous ne sommes pas occupés à cela à chaque fois que nous commencerons à nous occuper des fautes des autres. Si notre fierté personnelle est blessée au cours de la vie ecclésiale, Dieu merci. C'est pour ça que nous y sommes, pour devenir humble.
http://orthodoxengland.org.uk/fbrorthoc.htm